Position sur la PAC 2021-2027
Le Plan Stratégique PAC wallon à l’heure du Green Deal Européen
Adoptée par le Conseil d’Administration le 9 mars 2020
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Résumé : Une nouvelle PAC doit entrer en vigueur pour la période 2021-2027. A la clé, des « Plans Stratégiques PAC » que les gouvernements sont chargés d’élaborer eux-mêmes, pour la première fois. Une opportunité d’augmenter l’ambition environnementale et de répondre aux objectifs que l’Europe s’est fixé par le Green Deal. Forte d’un budget européen de plus de 50 milliards d’euros par an, la PAC doit pourtant être drastiquement réformée pour encourager l’évolution de l’agriculture vers des modèles plus durables. A l’heure actuelle, elle est inefficace, injuste pour les agriculteurs, truffée d’incohérences, et dotée d’un programme environnemental de peu d’ampleur. Natagora défend la vision d’une PAC de tous les citoyens, qui répond aux urgences sociétales actuelles en matière d’alimentation, de rémunération équitable des agriculteurs, de biodiversité et de climat. Au niveau wallon, Natagora demande au gouvernement de montrer que la Région Wallonne s’engage dans la transition en :
- Impliquant toutes les parties prenantes de la société pour la formulation du plan stratégique
- Fixant un objectif de 10% d’espace pour la nature dans chaque ferme dans le plan stratégique
- Remplaçant progressivement de l’aide couplée aux animaux d’ici 2027 par une aide qui cible le maintien des prairies permanentes et leur gestion adéquate pour le climat et la biodiversité
- Protégeant rigoureusement les prairies sensibles pour l’environnement et la biodiversité
- Mobilisant tous les instruments de la PAC à disposition dans les deux piliers pour accompagner les exploitations dans la transition agroécologique
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Introduite en 1962, la Politique Agricole Commune (PAC) a joué un rôle clé pour assurer la sécurité alimentaire de l’Europe après-guerre. Elle a permis à l’Europe d’accroître sa production agricole, d’assurer une autosuffisance alimentaire relative et d’augmenter sa balance commerciale agroalimentaire. Mais aujourd’hui, elle est plus critiquée et plus impopulaire que jamais (1) : les aides sont injustement réparties entre agriculteurs, elles maintiennent des systèmes agricoles intensifs dans la dépendance financière, et elles encouragent des pratiques qui détruisent la biodiversité et contribuent au changement climatique. En bref, notre PAC, celle de tous les citoyens européens, qui dépense presque 40% du budget européen, est inefficace économiquement, environnementalement et socialement. Nos gouvernements et parlementaires portent sur eux la responsabilité de la réformer drastiquement, car les améliorations à la marge ne sont plus acceptables, notamment en matière d’environnement.
Á partir de 2022 (2), une nouvelle PAC doit entrer en vigueur. A la clé, des « Plans Stratégiques PAC » que les gouvernements sont chargés d’élaborer d’ici fin 2020. Une véritable opportunité de rendre la PAC plus juste, plus durable et plus cohérente pour les hommes et la nature, et aussi de répondre aux objectifs que l’Europe s’est fixé dans le cadre du Green Deal. Quelle vision pour la PAC dans ce contexte ? Quels sont les enjeux pour la biodiversité et pour les citoyens wallons ? Le point sur les revendications que Natagora va porter ces prochaines années.
La PAC – ça m’impacte !
Sujet éminemment complexe, la PAC ne saurait pour autant se résumer à une question technique ou budgétaire. Au regard des enjeux d’alimentation et de développement durable, c’est également une question de société. L’agriculteur est le bénéficiaire direct des aides, mais celles-ci impactent l’ensemble du territoire rural (dynamisme, paysages), notre environnement (qualité de l’air et des eaux, biodiversité, climat), notre alimentation et la santé publique. Que vous soyez consommateur, contribuable, naturaliste, promeneur, parent… la PAC vous concerne. Natagora défend la vision d’une PAC de tous les citoyens, qui répond prioritairement aux demandes sociétales actuelles : offrir des aliments sains, frais et bons à la population de son territoire, rémunérer équitablement les agriculteurs en redynamisant l’économie rurale, respecter la nature, la biodiversité et le bien-être animal, et prendre acte de l’urgence climatique.
La figure 1 représente les budgets alloués aux grands types d’aides PAC sur la période 2014-2020 en Wallonie. Elles se répartissent en deux « piliers », dont le premier, entièrement financé par l’UE, soutient historiquement la production et les revenus agricoles, et dont le deuxième appuie le développement rural et l’environnement.
En 1992 ont été introduites les « mesures agri-environnementales », qui sont les aides versées aux agriculteurs pour les meilleures pratiques en matière d’environnement. Aujourd’hui encore elles sont présentes sous le nom de MAEC (3) dans le 2ème pilier. En 2003 la conditionnalité a été introduite, qui conditionne le paiement des aides PAC au respect de la législation en vigueur en matière d’environnement, de santé publique et de bien-être animal. En 2014 les paiements verts ont été introduits au sein du 1er pilier, avec l’objectif de « verdir » les aides au revenu. L’efficacité de ces aides est évaluée dans la section suivante « PAC : Il faut changer de CAP ».
La réforme 2021-2027, une opportunité pour la Wallonie
La Commission européenne a proposé que la prochaine PAC soit construite sur un nouveau modèle de mise en œuvre. Elle a ainsi introduit une innovation essentielle : l'élaboration, par chaque état-membre, d'un plan stratégique national (PSN PAC) qui doit définir les interventions de la PAC en intégrant de manière cohérente ses deux piliers (c’est une nouveauté), afin de répondre aux trois objectifs généraux suivants, dans le contexte local :
- favoriser une agriculture intelligente et résiliente assurant la sécurité alimentaire ;
- renforcer les actions favorables à l'environnement et au climat qui contribuent aux objectifs environnementaux et climatiques de l'Union européenne ;
- renforcer le tissu socio-économique des zones rurales.
Ces objectifs généraux sont déclinés en neuf objectifs spécifiques, dont l’un est dédié à la biodiversité ( « Contribuer à la protection de la biodiversité, améliorer les services écosystémiques et préserver les habitats et les paysages ») et deux autres respectivement à l’environnement et au climat.
Opportunité de taille, la proposition actuelle précise que le PSN PAC doit apporter une contribution supérieure à la réalisation des objectifs environnementaux par rapport à la période 2014-2020. Cela passera par un renforcement de la conditionnalité, par la reconduite des MAEC, et par l’introduction d’un nouveau dispositif dans le 1er pilier, les « écorégimes » que l’état membre doit définir lui-même. Enfin, la proposition prévoit que chaque autorité en charge organise un partenariat impliquant au minimum les acteurs économiques, sociaux et de la société civile concernés, pour élaborer les PSN PAC. Et c’est ainsi que Natagora entend se saisir de l’opportunité de s’engager et de contribuer à la réflexion, afin que la stratégie wallonne mette en œuvre les moyens nécessaires pour accomplir la transition du secteur agricole. Envisagée par la DPR (4), cette transition doit tendre vers une agriculture respectueuse de l’homme et de la nature, et capable de répondre aux attentes sociétales en termes d’alimentation, de santé et de bien-être animal (5).
PAC : Il faut changer de CAP !
Jusqu’en 2020, le budget PAC européen s’élève à plus de 50 milliards d’euros par an, c’est le premier poste de dépense européen, soit en Région Wallonne 374 millions d’euros par an. Pour ces montants, on s’attendrait à des résultats probants en matière d’économie, de soutien à l’agriculture familiale, et d’environnement. Ce n’est pas le cas. On fait le point en reprenant les éléments clés du CAP Fitness Check, commandité par notre partenaire Birdlife Europe, en 2017, que l’on resitue dans le contexte wallon.
Inefficacité socio-économique
C’est un euphémisme de dire que les aides PAC soutiennent le revenu des exploitations agricoles. En Wallonie, une exploitation reçoit en moyenne 27 000 €/an (6). Ces aides représentent 135% du revenu du travail (7), c’est-à-dire qu’elles peuvent surpasser les revenus dégagés par l’agriculture elle-même. Elles tiennent ainsi les exploitations dans une dépendance alarmante.
Les plus petites exploitations disparaissent pour agrandir les plus grandes : chaque année 3% de fermes disparaissent, mais la surface moyenne de chaque exploitation restante augmente de 3%. Car la PAC soutient préférentiellement les exploitations plus grandes : les aides du 1er pilier sont proportionnelles à la taille économique de l’exploitation (superficie ou nombre de bêtes), donc les grandes exploitations touchent plus d’aide bien que leurs coûts de production décroissent (par économie d’échelle). Le CAP Fitness Check est limpide : la répartition des aides est inefficace et déconnectée des besoins. Les aides sont insuffisantes pour les plus petites exploitations, et alimentent la flambée du prix des terres.
Incohérences internes aux frais de la biodiversité
Les aides PAC répondent à des objectifs parfois contradictoires (revenu et environnement), avec une absence d’évaluation des impacts des aides du 1er pilier. En Wallonie, la situation est un cas d’école : l’aide au bétail, qui représente presque 1/5ème de tout le budget PAC wallon, permet de maintenir ou augmenter artificiellement les cheptels bovins viandeux, avec pour corollaire un surplus de gaz à effet de serre et une pression à la baisse sur le prix de la viande, au détriment à terme du revenu des éleveurs (8). De surcroit, les critères d’éligibilité privilégient les races plus productives (blanc bleu belge), au détriment des races rustiques plus adaptées à une gestion extensive et durable des prairies. Une étude récente a démontré qu’elles sont néfastes pour l’emploi agricole (9). Ces aides sont aussi 19 fois plus importantes que la mesure d’autonomie fourragère (MB9), dont on attend un effet inverse d’extensification de l'élevage ! D'une manière plus générale, les aides de la PAC (hormis les mesures environnementales) ont des effets non intentionnels sur l’environnement, peu maîtrisés (10).
Mesures environnementales : plus elles sont efficaces, moins elles sont répandues
Les mesures agri-environnementales et climatiques (« MAEC ») sont efficaces en Wallonie à un niveau local, comme le montre le suivi ornithologique effectué par Natagora sur le terrain (11), et l’évaluation indépendante du 2ème pilier de la PAC (12). Elles permettent par exemple de maintenir des pratiques d’élevage extensives vertueuses pour la biodiversité, d’améliorer les états de conservation d’habitats Natura 2000, et de maintenir des populations d’oiseaux des plaines particulièrement menacées comme le bruant proyer et les busards. En revanche, comme c’est le cas partout en Europe, l’insuffisance des moyens alloués à ces mesures, et leur faible étendue, ne permettent pas d’enrayer la chute de biodiversité à un niveau régional ou européen. En plaine de grandes cultures wallonnes, là où des mesures sont les plus indispensables, seulement 0,7% des surfaces cultivées sont appuyées par des MAEC (13).
Les aides Natura 2000 compensent financièrement les agriculteurs dont les terres sont inclues dans le réseau Natura 2000 et qui doivent respecter des contraintes environnementales de base pour assurer le maintien minimal de leur état de conservation. Néanmoins, 75% des habitats prairiaux d’intérêt patrimonial (14) ne sont pas inclus dans le réseau Natura 2000, et ne bénéficient donc pas de cette protection. Vu l’état de conservation défavorable général des habitats prairiaux, l’accent doit plutôt être mis sur les mesures d’amélioration et restauration de ces habitats. Or, ce n’est fait qu’à trop petite échelle à l’heure actuelle via les MAEC et la mesure de restauration prévue par la PAC. Depuis 6 ans on a perdu plus de 2000 ha de prairies de fauche d’intérêt patrimonial.
La prime verte, quant à elle, reçoit plus de trois fois le budget alloué aux MAEC. Or, en plus d’avoir alourdi la charge administrative des agriculteurs, elle a été notoirement inefficace (15) dans son objectif de « verdir » la PAC, car elle a financé des pratiques agricoles pour la plupart déjà existantes chez les agriculteurs, et qui ne sont pas pertinentes pour enrayer le déclin de la biodiversité en milieu agricole. C’est le cas notamment des 5% réservés aux surfaces écologiques (SIE), dont 90% en Wallonie ont été attribués à des couverts dits « hivernaux » qui sont la plupart du temps détruits avant le début de la saison hivernale, et qui n’assurent ainsi aucune fonction nourricière ou protectrice au moment où la biodiversité en a le plus besoin.
Dans la même veine, l’ICRD (indemnité versée dans les zones soumises à contrainte naturelle) couvre 26% de la surface agricole et est comptabilisée comme une aide environnementale alors que c’est un paiement forfaitaire à l’hectare, déconnecté des problématiques environnementales. Il n’est dès lors pas surprenant que les habitats seulement couverts par l’ICRD poursuivent leur tendance d’évolution défavorable (16).
La conditionnalité, enfin, comme elle est une obligation légale pour tous les agriculteurs, est le mécanisme le plus efficace quand il faut faire respecter la législation et éviter les nuisances généralisées sur l’environnement. Malheureusement force est de constater que la loi n’est pas toujours respectée. En Wallonie, par exemple, les particularités topographiques sont irrégulièrement maintenues, car il est fréquent de voir des bordures de chemins labourés (alors qu’un mètre minimum devrait rester en herbe), et de ne pas voir les bandes tampons obligatoires autour de toutes les eaux de surface qui doivent les protéger des pollutions agricoles. D’autres mesures n’ont à l’évidence encore pas l’impact attendu, comme celle de protéger les sols de l’érosion. Ceci s’explique à différents niveaux soit par un défaut d’ambition dans les législations de base, soit par un défaut de contrôles assortis de pénalités peu dissuasives.
Trois enjeux biodiversité pour la politique agricole en Wallonie
Redéployer les espaces semi-naturels dans les fermes
La biodiversité, ordinaire ou extraordinaire, a besoin d’un maillage écologique pour subsister. Haies, pré-vergers, mares, talus, fossés, prairies gérées extensivement, bandes fleuries et herbeuses, et bordures de champ lui sont autant d’habitats, de sites de reproduction et de sources de nourriture. Aujourd’hui pourtant, moins d’1% des surfaces agricoles sont en réserve naturelle, et moins de 3% protégées par Natura 2000. Ce maillage écologique est inégal en zone herbagère, et a quasiment disparu en plaine de grandes cultures. Dans ces conditions, il est absolument impossible d’envisager d’enrayer le déclin de la biodiversité en milieu agricole. La PAC détient déjà en elle les outils qui doivent au plus vite être utilisés à bon escient pour redresser la situation. Pour Natagora, le redéploiement d’espaces semi-naturels doit se faire au sein même des espaces cultivés existants, dans chaque ferme, afin de préserver la biodiversité et tout en soutenant la transition écologique des exploitations. L’agencement des parcelles et les longueurs de bordures de champ sont particulièrement importants pour permettre à l’agrobiodiversité de se développer et de contribuer à une régulation naturelle des ennemis des cultures en se substituant aux pesticides par exemple. Ces éléments fournissent également des services essentiels comme la lutte contre l’érosion et la dépollution des eaux. Ils représentent un potentiel de diversification économique que la PAC doit appuyer, qui contribue à l’autonomie et à la résilience de notre production (tant face aux aléas environnementaux qu’économiques) : MAEC, commercialisation de produits et coproduits comme le bois-énergie, les produits de fauche et pâturage, les coproduits d’élevage etc.
Sauvegarder et gérer extensivement les prairies wallonnes
Les prairies permanentes représentent toujours plus de 40% de la surface agricole wallonne, malgré un déclin de 23% depuis 1980. Cette perte est essentiellement due à l’urbanisation et à la conversion des prairies en cultures plus rentables (maïs fourrage puis céréales et pommes de terre, sapins de Noël). Ce déclin est une réelle menace pour le climat et la biodiversité : les prairies permanentes dans leur ensemble renferment les stocks de carbone les plus importants après les forêts, et rendent des services environnementaux incomparables (dépollution, érosion, biodiversité etc.). La principale cause de leur disparition est la diminution du cheptel et la crise économique de l’élevage bovin. Si la diminution du cheptel semble inéluctable, pour répondre à la baisse de la demande de viande bovine et à la nécessite de diminuer les émissions de GES, elle doit être accompagnée pour assurer la viabilité économique des élevages et leur transition vers des modèles plus extensifs. Cela permettra de maintenir les prairies en améliorant la situation de la biodiversité, et de sortir au plus vite d’une logique de production pour la quantité, sans issue, pour aller vers une logique qualitative et de meilleure valorisation des produits. Cela demandera en premier lieu que le plan stratégique PAC wallon résolve ses incohérences internes et contreproductives (cf. p3).
En outre, parmi ces prairies permanentes, il faut souligner l’existence de prairies particulièrement sensibles pour l’environnement et qui doivent être sauvegardées à tout prix : les prairies humides qui stockent considérablement plus de carbone dans leurs sols, les prairies dont les sols sont à fort risque érosif, et les prairies d’intérêt patrimonial, qui sont des habitats ou habitats d’espèces remarquables pour la biodiversité, au sens de Natura 2000. Or 17% de prairies de fauche d’intérêt patrimonial pour la biodiversité, bien que protégées par la directive habitat, ont disparu depuis 2014 (17), à cause de pratiques agricoles inadéquates. Bien souvent les agriculteurs ne connaissent pas même la présence de ces prairies patrimoniales sur leur exploitation (la plupart se trouvant hors du réseau Natura 2000), on ne s’étonnera alors pas qu’ils recourent rarement aux aides offertes pour la gestion appropriée de ces milieux (moins de 15% des prairies d’intérêt patrimoniales sont couvertes par des MAEC conçues à cet effet (18)). Par ailleurs, les budgets actuellement alloués à la restauration des prairies en mauvais état de conservation ne permettent en réalité que de compenser très partiellement cette disparition de prairies d’intérêt patrimonial pour la biodiversité en Wallonie.
Accompagner les exploitations dans la transition vers une agriculture écologiquement intensive
La transition écologique de l’agriculture conventionnelle est irréversible car l’évolution de la demande sociétale l’est aussi. Natagora défend l’agriculture écologiquement intensive telle que promue par le Code Wallon de l’agriculture, qui consiste à minimiser les achats venus de l’extérieur (pesticides, engrais, aliments du bétail, médicaments) et les remplacer par des services rendus par la nature et la biodiversité. Les barrières auxquelles font face les agriculteurs dans cette transition sont nombreuses et de mieux en mieux identifiées : des choix d’investissement qui verrouillent l’agriculteur dans une course à la productivité, des difficultés de transmission des exploitations, l’accès à la connaissance technique, le manque de soutien par la recherche, les biais culturels, et même le principal outil de la PAC, le paiement direct à l’hectare et à la tête de bétail, qui serait un incitant à la course à l’agrandissement et au foncier. En bref, une politique volontariste différente de celle menée jusqu’à présent est nécessaire pour aider les agriculteurs à faire face à ces nombreux challenges.
Revendications de Natagora pour la PAC 2021-2027
Dans le cadre des négociations européennes de la réforme, Natagora partage la vision d’une PAC agricole de tous les citoyens, qui se recentre sur le soutien aux agriculteurs engagés dans la transition écologique et la protection des biens publics que sont le climat et la biodiversité.
Les deniers publics des citoyens ne peuvent plus financer les systèmes agricoles qui portent préjudice à la société par la pollution des eaux, de l’air et des aliments, la destruction des paysages et de la biodiversité. Natagora demande au niveau européen une réforme drastique de la PAC : la suppression de toutes les aides perverses pour l’environnement, y compris l’élimination progressive des paiements de base à l’hectare, dont l’inefficacité est démontrée, et leur remplacement par une aide qui prendra en compte le nombre d’actifs agricoles. Le but étant d’assurer à tous les producteurs un revenu minimal équitable et de promouvoir l’emploi. Les autres outils devraient être utilisés pour soutenir les exploitations qui s’engagent dans des pratiques bénéfiques pour l’environnement, le climat et la biodiversité. Une part importante du budget européen devrait être réservée pour protéger la nature. Au niveau national, à contrario, selon le principe de pollueur-payeur, les exploitations qui choisissent les techniques les plus dommageables devraient être pénalisées par un système de malus et de taxation adéquate sur les pesticides, le carburant, le soja importé et les engrais chimiques, système qui apporterait un financement complémentaire pour la transition et l’atteinte des objectifs politiques (DPR, Pacte Vert européen, stratégie européenne biodiversité et « De la fourche à la fourchette » (19)).
Au niveau wallon, Natagora demande aux décideurs de faire de la PAC notre politique agricole et alimentaire, celle de tous les citoyens et non seulement des agriculteurs. Natagora demande aux décideurs de répondre explicitement aux enjeux de société actuels en matière d’alimentation, de biodiversité et de climat, et de chiffrer leur niveau d’ambition. En préalable, cela passe par la mise en place d’un partenariat avec toutes les parties prenantes pour la formulation du plan stratégique puis le suivi conjoint de sa mise en œuvre. Natagora appelle enfin les décideurs politiques à montrer que la Région Wallonne peut être un modèle pour la transition écologique de l’agriculture au niveau européen, en déployant un PSN PAC ambitieux dans le cadre du Pacte Vert européen.
Pour ce faire, Natagora revendique les objectifs suivants dans le PSN PAC wallon :
1. 10% d’espace pour la nature dans chaque ferme
Le PSN devra coordonner une conditionnalité renforcée, de nouveaux écorégimes et des MAEC dans le but de redéployer et de gérer de manière appropriée au moins 10% de maillage écologique au sein des terres actuellement cultivées dans chaque ferme wallonne. Les éléments inclus dans ces 10% ne pourront l’être que sur la base d’une démonstration scientifique de leur pertinence et de leur impact sur la biodiversité. C’est l’espace nécessaire, au vu des évaluations des politiques publiques passées en Europe, pour enrayer la chute de la biodiversité, notamment dans les plaines wallonnes dominées par les grandes cultures. Le PSN devra aussi prévoir dans sa mise en œuvre une application renforcée de la conditionnalité concernant la biodiversité, y compris par des contrôles géo-satellites systématiques (mise en place d’un référentiel fixe), des pénalités plus dissuasives, et de réels moyens, significativement supérieurs à ceux de la période précédente, pour la mise à l’échelle de MAEC et/ou d’écorégimes ciblant le maillage écologique correspondant aux besoins de chaque région agricole.
2. La sauvegarde et la gestion extensive des prairies wallonnes
Elle se déclinera à deux niveaux :
- L’élimination progressive de l’aide couplée aux animaux d’ici 2027 en faveur d’une aide qui cible le maintien des prairies permanentes et leur gestion adéquate pour le climat et la biodiversité. Un plan de transition devra être mis en place pour accompagner le secteur bovin wallon vers la fin de l’aide couplée et sa transition vers un élevage plus extensif, à plus forte valeur ajoutée, rémunéré pour ses services rendus à la société en matière de climat et de biodiversité. Une aide nouvelle viendra compléter les MAEC soutenant l’autonomie fourragère et les prairies riches en biodiversité, afin d’accompagner le plus grand nombre d’éleveurs wallons vers des pratiques plus extensives et en phase avec les demandes sociétales dans leur ensemble. Une aide aux protéagineuses fourragères pourrait être mise en place.
- La préservation des prairies sensibles pour l’environnement et la biodiversité, par des moyens légaux et financiers adéquats. La conditionnalité renforcée offre les moyens de protéger ces prairies. Concernant les enjeux climatiques (prairies humides) et érosifs, Natagora demande à ce que, au minimum, il soit interdit de les labourer, les drainer ou les détruire. Par ailleurs, une action urgente est nécessaire pour informer et sensibiliser de manière ciblée les agriculteurs concernant les prairies d’intérêt patrimonial actuellement en déclin rapide, qui se situent sur leur exploitation (20), afin d’augmenter drastiquement le taux d’adoption des MAEC permettant la conservation de ces prairies. Les budgets de restauration devront également être considérablement augmentés pour inverser la tendance des états de conservation systématiquement défavorables des habitats situés en milieux agricoles (21).
3. Mobiliser tous les instruments de la PAC à disposition pour accompagner les exploitations dans la transition agroécologique
Les instruments de la PAC devront être mobilisés de manière à cibler de manière coordonnée et intentionnelle les barrières à la transition. Les paiements de base seront plafonnés et redistribués au maximum, en fonction des actifs agricoles dès que c’est possible, en vue de soutenir les plus petites fermes et de rémunérer plus équitablement le travail d’une agriculture paysanne qui contribue au dynamisme rural et façonne des paysages diversifiés. La conditionnalité renforcée devra permettre de limiter l’usage des pesticides, via la lutte intégrée (22). L’aide à la production biologique doit être amplifiée en proportion des ambitions de la DPR.
Les aides à l’investissement doivent être prioritairement ciblées vers les équipements nécessaires à la transition, en relocalisant en priorité les filières stratégiques pour l’alimentation de la population wallonne. Elles doivent permettre de répondre à la demande croissante en aliments bio, locaux et agroécologiques, et, au minimum, veiller à ne pas verrouiller les exploitations dans des trajectoires d’intensification et d’agro-industrialisation sur le long-terme. De manière plus générale, Natagora demande le retrait de toute aide qui encourage des activités néfastes pour l’environnement, et dont la valeur sociétale est faible, en ce compris la culture de la pomme de terre et des légumes en plein champ conventionnels et l’élevage intensif hors-sol.
Les aides à l’installation doivent être accessibles à tous et faciliter l’entrée des jeunes non issus du milieu dans le secteur. Des écorégimes doivent être conçus spécifiquement pour appuyer le redéploiement du maillage écologique et les trajectoires bas-intrants (23) afin d’amorcer une trajectoire volontaire vers la sortie de l’usage des pesticides. Et, enfin, les systèmes d’information et de conseil agricole, ainsi que les dispositifs d’aide au marché, devront être pensés pour faire émerger les alternatives aux intrants chimiques et appuyer le développement et la reterritorialisation de filières pour les produits agroécologiques, biologiques et issus des espaces semi-naturels wallons.
Rédaction : Emmanuelle Beguin (Département politique Natagora), en remerciant pour leur relecture et commentaires Arnaud Laudelout, Thibaut Goret, Jean-Paul Ledant, Thierri Walot et Benjamin Legrain.
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(1) Voir les récents scandales dans le New York Times pour les Pays d’Europe de l’Est, dans Tchak ! en Wallonie, ou encore un cas en Sicile sur le détournement où la concentration abusive des aides
(2) Il s’agit de la PAC pour le cycle 2021-2027, qui, suite à un retard d’un ou plus probablement de deux ans, entrera en vigueur le 1er janvier 2022 ou le 1er janvier 2023
(3) Mesure Agri-Environnementale et Climatique, voir leur description sur le site de Natagriwal
(4) Déclaration de Politique Régionale 2019-2024
(5) Pour plus d’information se référer à la position de Natagora sur l’agriculture
(6) Calcul réalisé sur la base des dépenses publiques du 1er pilier (source DGARNE) et du 2ème pilier (rapports en ligne), moyenne 2015-2018 en incluant pour le 2ème pilier les dépenses M4, M6, M10, M11, M12 et M13
(7) DGARNE moyenne 2014-2017
(8) OCDE, Evaluation des réformes PAC de l’UE (2017)
(9) Garrone et al. Jobs and agricultural policy: Impact of the common agricultural policy on EU agricultural employment, Food Policy 87 (2019)
(10) ADE, Evaluation indépendante du PwDR 2014-2020 à mi-parcours (2019)
(11) Laudelout, A. et al. Évaluation et appui ornithologique dans le cadre de la politique agricole commune et particulièrement des méthodes agro-environnementales, rapport final, Natagora et SPW – DGARNE – DOG3 (2018)
(12) ADE, Evaluation indépendante du PwDR 2014-2020 à mi-parcours (2019)
(13) Estimation Natagora/UCL sur environ 100 000ha prioritaires pour les busards et oiseaux spécialistes des plaines
(14) Communication DEMNA février 2020
(15) Lire le rapport de la Cour des Comptes de 2017: Le verdissement: complexité accrue du régime d’aide au revenu et encore aucun bénéfice pour l’environnement
(16) ADE, Evaluation indépendante du PwDR 2014-2020 à mi-parcours (2019)
(17) Analyse SWOT Description générale pour concertation des acteurs, version Décembre 2019
(18) Communication DEMNA février 2020
(19) Lire Faire de la PAC un levier de transition écologique (France Stratégie 2019)
(20) Par exemple, moins de 20% des 12 000 ha de prairies de fauches d’intérêt patrimoniales sont incluses dans le réseau Natura 2000, et 17% de ces habitats ont disparu depuis 2014, confirmant la tendance précédente
(21) Voir le Prioritized Action Framework 2021-2027 qui détaille les besoins pour la Wallonie
(22) Lire à ce sujet le très instructif Rapport de la Cour des Comptes Utilisation durable des produits phytopharmaceutiques: des progrès limités en matière de mesure et de réduction des risques
(23) Voir les propositions de Ledant JP, Des pistes pour encourager la transition écologique de l’agriculture wallonne (2019)