La grippe aviaire sévit chez les grues

Publié le ven 08/12/2023 - 15:28

La question n'était pas de savoir si nos grues seraient touchées par la grippe aviaire, mais plutôt de savoir quand et où est-ce que cela se produirait. Deux questions importantes, car la réponse à l'une et à l'autre détermine largement l'impact sur leur population. Ces dernières années, des foyers sont apparus ici et là. Mais en raison de la vaste répartition des grues à l'époque, seuls des groupes locaux assez limités ont été touchés. Aujourd'hui, la situation semble bien différente. Entre 20 000 et 30 000 grues sont déjà mortes. Comme elles ont été infectées au cours de leur migration, elles risquent de propager le virus à une grande partie de la population européenne.

Que savons-nous jusqu'à présent ?

L'épidémie s'est produite dans la région de Hortobágy (Hongrie) chez des grues principalement originaires de Finlande. Fin octobre, près de 194 750 grues ont été recensées sur et autour du lac ; un record absolu, car habituellement seuls 100 000 à 120 000 oiseaux s'y retrouvent pendant le pic de migration. Peu de temps après, les premières grues mortes ont été signalées. L'épidémie est tombée au pire moment, alors que de nombreux oiseaux étaient rassemblés sur le site. Les derniers chiffres indiquent une mortalité de 10 à 20% de la population automnale en Hongrie, soit environ 20 000 à 30 000 grues. Et il est probable que ce chiffre continue d'augmenter.

Grue morte noyé suite à la grippe aviaire

 

À première vue, cette situation ne semble pas poser de problème pour "nos" grues sur la route de migration de l'Europe de l'Ouest. Normalement, ces oiseaux hivernent essentiellement en France et en Espagne, et un plus petit nombre rejoint l'Afrique du Nord. Mais depuis environ 10-15 ans, deux connexions sont apparues entre les deux voies de migration.

Une première connexion s'est créé depuis Hortobagy, sur la route de migration d'Europe centrale. Les grues longent le nord des Alpes, passent ensuite en France via l'Autriche et l'Allemagne, et finissent en Camargue via la vallée du Rhône en suivant la route de migration d'Europe de l'Ouest.

Une deuxième route part également d'Hortobagy le long du versant sud des Alpes et traverse le nord de l'Italie jusqu'à la Camargue. Certaines de ces grues migrent ensuite de la Camargue vers Gallocanta, en passant par la côte méditerranéenne, en direction de l'Espagne. Gallocanta est aujourd'hui le lieu de rassemblement principal d'où nos grues se dispersent ensuite dans toute l'Espagne.

Routes migratoires des grues - Gert Vandezande

 

Les effets du virus

 

Il s'agit de la forme hautement pathogène (qui rend fort malade et se propage rapidement) de la variante H5N1. Un oiseau infecté présente les premiers symptômes au bout de quelques heures seulement et meurt généralement dans les trois jours. Les oiseaux s'affaiblissent considérablement et meurent souvent par noyade, car ils sont trop faibles pour garder la tête hors de l'eau. Le virus affecte les systèmes respiratoire, digestif et nerveux. Les oiseaux font généralement des mouvements de tête étranges et incontrôlés. Ils se réfugient dans les plans d'eau parce qu'ils s'y sentent plus à l'abri des prédateurs, ce qui rend complexe toute intervention humaine de sauvetage. Le virus peut survivre dans les fèces (déjection) pendant 45 jours à une température d'environ 4°C. Si la température monte à 37°C, il y reste encore pendant 2 à 6 jours.

Si le virus se propage davantage, la population de grues peut être décimée. À titre d'exemple, en 2021, un foyer s'est déclaré sur un lac en Israël avec une population hivernale de 12 500 oiseaux. Par la suite, on a constaté que seules 3 000 grues environ avaient survécu au virus. Cette vidéo (déconseillée aux personnes sensibles) de l'épidémie en Israël illustre la véritable tragédie que la grippe aviaire inflige aux grues.

Grues mortes de la grippe aviaire

 

Une variante bénigne de la grippe aviaire est endémique chez de nombreuses espèces d'oiseaux et ressemble à la grippe humaine. La variante hautement pathogène de la grippe aviaire est apparue il y a plusieurs années dans des élevages intensifs de poulets en Asie. Dans un premier temps, ce sont surtout les oiseaux d'élevage qui ont été touchés, puis le virus s'est "échappé" vers les oiseaux sauvages. Par l'intermédiaire des oiseaux migrateurs et des oiseaux se reproduisant en colonie, il s'est depuis répandu dans le monde entier, causant de véritables ravages dans les populations d'oiseaux. Cette histoire montre que les concentrations méga-intensives d'animaux d'élevage ne posent pas seulement des problèmes de pollution de l'air et de l'eau à cause de l'azote, mais présentent également un risque réel de propagation d'agents pathogènes à partir des étables.

Comment procéder ?

L'abattage très régulier des victimes est le meilleur moyen d'endiguer la grippe aviaire, mais il est extrêmement difficile dans des zones humides aussi vastes.

Par conséquent, l'espoir principal repose sur un hiver extrêmement pluvieux en Espagne et en France. Cela créerait de nombreux nouveaux sites de repos plus petits sur des terrains inondés. Dans ces petits groupes d'hivernants, l'épidémie de virus pourrait s'éteindre plus rapidement, ou du moins avant que la migration de printemps ne reprenne vraiment. Dès le début du mois de février, les grues recommencent à se rassembler pour la migration vers le nord. Si le virus circule encore à ce moment-là, un grand nombre d'oiseaux seront à nouveau infectés, ce qui risque de provoquer des dégâts incalculables.

Un automne extrêmement pluvieux peut ainsi avoir un effet positif. Par exemple, dans la région d'Arjuzanx (sud-ouest de la France), on constate que seulement 3410 grues viennent passer la nuit dans la réserve, alors que plusieurs dizaines de milliers restent dans la région. En raison des fortes pluies de ces derniers mois, de nombreuses zones ont été inondées et sont devenues des lieux de repos idéaux (protection contre les prédateurs) : les grues sont dispersées dans la vaste zone. Cela contribue positivement à la prévention de la propagation du virus.

Il faut espérer que la propagation du virus reste limitée. Dans le cas contraire, la population de grues pourrait s'effondrer complètement en un hiver et les efforts déployés pendant des décennies pourraient être rapidement anéantis. Cela montre une fois de plus qu'il est important de permettre aux espèces de constituer des populations robustes, capables de résister à des maladies imprévues ou à d'autres menaces.

 

Cet article est directement traduit d'une news Natuurpunt rédigée par Gert Vandezande (European Crane Migration Network)

Photos : Csaba Barkóczi