Position de Natagora sur le castor en Wallonie
Adoptée par le Conseil d’administration le 23/04/2012
Historique de la population
Le castor européen (Castor fiber) a toujours été partie intégrante de la faune indigène de Belgique. En témoignent les nombreux toponymes que l’on peut trouver sur notre territoire (Bièvre, Biévenne…).
Le castor a disparu de notre pays au XIXe siècle, exploité pour sa viande – considérée comme du poisson et donc consommable le vendredi – et pour la sécrétion qu'il utilise pour marquer son territoire et imperméabiliser son pelage, le castoréum, employé en parfumerie et en médecine car il contient de l'acide acétylsalicylique (consommation abondante de saule oblige), c'est-à-dire la substance active de l'aspirine.
Au début des années 1980, un projet de réintroduction aboutit dans l'Eifel. Une première observation en zone frontière permit de confirmer le retour du castor en Belgique en 1991. Plus tard, en 1997, des indices de sa présence apportent la preuve d'une installation durable de l'espèce. Peu après et malgré le refus formulé par le ministre de l'époque, plusieurs lâchers illégaux d'individus provenant d'Allemagne se sont succédé entre l'automne 1998 et le printemps 2000.
NB : pour rappel, Natagora condamne fermement toute réintroduction d’espèce effectuée hors des cadres légaux.
Depuis lors, nous avons assisté à une dispersion naturelle des jeunes animaux en Wallonie, mais aussi en Flandres où quelques lâchers ont eu lieu en 2003. On peut estimer que la population actuelle en Wallonie se situe entre 600 et 1000 castors répartis en 250 territoires recensés. La plupart des bassins versants sont aujourd’hui complètement ou partiellement recolonisés.
Écologie
Le castor est un rongeur. Il est donc exclusivement herbivore. Il se nourrit en été de plantes aquatiques, de plantes herbacées, de jeunes pousses et de feuilles, de préférence de saules et de peupliers ; il se nourrit d’écorces en automne et en hiver.
Il est actif toute l’année et est inféodé aux cours d’eaux. Il s’adapte à tous les gabarits de cours d’eau.
Sur les grands cours d’eau, il se limitera à faire tomber quelques arbres de rives. Sur les plus petits cours d’eau et les ruisselets, il cherchera à recréer des surfaces d’eau libres et de quelque profondeur. En effet, il a besoin d’accéder sous l’eau à l’entrée de sa hutte ou de son terrier afin de protéger sa progéniture de prédateurs potentiels. Pour ce faire il peut construire des barrages d’une ampleur impressionnante.
Le castor, un allié de la biodiversité
Le castor de par ses activités est un formidable adjuvant de la biodiversité.
- Il recrée des zones humides : trop souvent détruites par l’homme car non productives, le castor, sans besoin de budget, recrée des zones humides propices au redéploiement d’espèces qui étaient réduites à la portion congrue : libellules, laîches, linaigrettes, joncs, insectes, grenouilles, tritons… qui, à leur tour, permettront à d’autres espèces de se nourrir : cigognes noires, busards, milans…
- Il contrôle le reboisement naturel des rives et des zones humides : ce que nous devons souvent entreprendre lors de chantiers de gestion en zones humides, lutter contre le reboisement naturel par les saules, le castor va l’effectuer gratuitement et avec bon cœur.
- Les retenues et plans d’eau créés par ses travaux permettent la multiplication de nouvelles frayères pour les poissons et batraciens. Celles-ci contribuent à l’alimentation d’espèces protégées comme la cigogne noire en Ardennes.
Le castor, un allié de la régulation hydrologique de nos cours d’eau
Grâce à l’action des castors, une plus grande masse d’eau va pouvoir être stockée sur le bassin versant en cas de fortes pluies. Les barrages et larges étendues d’eau vont réduire les débits, réduire la vitesse et la force des courants et réduire l’érosion. Une étude de l’Université de Gand a déjà démontré l’intérêt de la présence des castors sur le bassin versant de l’Ourthe pour la prévention des inondations en aval. Moins de dégâts en aval pour les citoyens et la collectivité : tout cela gratuitement !
Le castor, un allié de l’épuration de nos eaux
Les eaux de surface et de ruissellement sont beaucoup trop souvent chargées d’engrais et pesticides liés à notre agriculture intensive, ou également chargées d’effluents domestiques. Les activités des castors vont permettre à cette masse d’eau de s’épurer naturellement dans les zones humides par lagunage naturel, plutôt que de s’écouler rapidement en aval chargées de polluants. Des stations d’épurations naturelles et gratuites !
Le castor, un allié du redéploiement écotouristique de notre région
Le castor est un animal qui bénéficie d’une énorme sympathie de la part du public. Le castor est un merveilleux ambassadeur d’un écotourisme responsable dans notre région. Valorisons la présence de ces sympathiques animaux et profitons de l’élan qu’ils suscitent pour sensibiliser le grand public à la conservation de notre environnement. Le castor, un ambassadeur de notre région au travail 24h/24h, gratuitement.
Les désagréments possibles et les solutions préconisées
Malgré leur effet bénéfique pour la biodiversité, pour la régulation hydrologique et la qualité de nos eaux, les activités des castors peuvent être perçues de manière négative ou occasionner des dégâts en regard des activités humaines. Ces désagréments ou dégâts peuvent avoir un caractère subjectif. En effet, les hommes supportent difficilement d’être contrariés dans leurs plans de maîtrise de la nature. Pourtant, moyennant un dialogue pacifique et quelques suggestions de mesures préventives ou de protection, la cohabitation avec les castors est dans la toute grande majorité des cas tout à fait possible.
Une zone de 10 à 20 m de large suffit déjà pour éviter presque tout conflit. En général, le castor se moque bien du fait que le cours d’eau où il s’établit ait ou non un écoulement naturel et de l’espace en suffisance : il l’a démontré ces dernières années en colonisant des eaux très éloignées de l’état naturel. Pour autant que les ressources alimentaires suffisent – dans les zones agricoles, les cultures complètent celles fournies par les boisements des rives – le castor s’installe : il adapte ensuite le cours d’eau à ses besoins. C’est précisément là que surgissent les conflits avec l’homme. Le castor a donc besoin de ces espaces riverains pour pouvoir coexister sans conflit avec nous – et donc continuer à être bien accepté. Cependant, notre société a aussi besoin de telles zones car :
- elles diminuent l’apport de nitrates et de pesticides dans les cours d’eau,
- elles constituent un habitat et un corridor migratoire pour de nombreuses espèces animales et végétales,
- elles servent de surface de rétention lors d’inondations,
- elles sont des zones de détente en nature,
- et enfin, élément le plus important du point de vue du castor, elles contribuent à éviter les conflits entre castors et activités humaines.
Les coupes d’arbres constituent la grande majorité des désagréments. Elles sont en général limitées à moins de 30 mètres des cours d’eau. Deux moyens simples et non onéreux de protection des arbres à préserver sont préconisés :
- manchon à la base des troncs en treillis métallique (type grillage à poulailler) jusqu’à 1 m de hauteur
- enduits répulsif badigeonné à la base des troncs jusqu’à 1 m de hauteur (attention d’utiliser un produit agréé !)
- des clôtures électrifiées de 50 cm de hauteur peuvent également offrir une solution dans certains cas localisés (accès aux jardins, jeunes plantations…)
- enfin, l’aménagement d’un cordon boisé sur les 10 premiers mètres en bordure de cours d’eau devrait laisser des ressources nutritives en suffisance pour assurer les ressources nutritives nécessaires aux castors riverains.
En conséquence de la mise en place de barrages par les castors, les inondations résultant de la montée de nappes peuvent occasionner des dégâts aux habitations, aux chemins d’accès, aux routes… Dans ces cas, des destructions de barrages peuvent être envisagées mais elles devront être répétées de nombreuses fois. Très souvent, les hommes se décourageront plus rapidement à la destruction que les castors à la reconstruction. Dans les cas de reconstructions répétées, il est donc conseillé d’entreprendre quelques aménagements sommaires :
- Créer un pertuis à la hauteur désirée en tuyau PVC en pente douce dont la bouche amont sera entourée d’une cage métallique à très large maille de type "cage à gabion", rendant l’occlusion du pertuis impossible
- Des aménagements en dur peuvent rendre la construction du barrage impossible pour les castors.
NB : il est à noter que la destruction des castors occupant ces sites sera inopérante. De jeunes castors en recherche de territoires ne manqueront pas de recoloniser les sites attrayants… Il est donc conseillé d’investir dans les aménagements décrits ci-dessus pour solutionner le problème de manière durable.
Effondrements - Dégâts aux berges : les castors peuvent dans certains cas coloniser des étangs de pêcherie et décider de créer une hutte/terrier dans une des berges. Le castor n’aura aucun effet négatif sur la pisciculture en tant que telle. Le castor, en règle générale, n’a aucun intérêt à compromettre la stabilité des berges des étangs sur lesquels il installe ses huttes-terriers. En effet, il veillera à maintenir le niveau d’eau au plus haut afin de garantir que l’entrée de sa hutte soit sous le niveau d’eau en tout temps. En cas de fragilité de la berge, il veillera sans aucun doute à reboucher et consolider les brèches.
NB : les dégâts aux berges peuvent très souvent être dus au rat musqué et indûment imputés au castor. Pour rappel, le rat musqué est une espèce exotique envahissante qui occasionne de gros dégâts aux berges et dont la Région wallonne assure le contrôle et l’éradication.
Des "coulées" créées par les passages fréquents des castors à un endroit particulier peuvent créer une dépression dans la ligne de crête des berges d’étangs : pas de nature à compromettre le niveau d’eau des étangs. Un remblaiement local de la coulée peut être envisagé afin de garantir une circulation aisée sur les berges.
Quelques cas de dégâts agricoles ont été signalés en culture de maïs. Ils sont éminemment marginaux et sont sans commune mesure avec les dégâts occasionnés par les sangliers. Certains exploitants agricoles peuvent également être incommodés par l’inondation d’une partie de leur parcelle (voir "inondations").
Régulation naturelle des populations
À l’âge adulte, les prédateurs naturels du castor sont le loup, l’ours, le glouton et le lynx. A part quelques lynx de nouveau présents en Wallonie ces dernières années, on peut estimer qu’il n’a pas de prédateurs naturels à l’heure actuelle.
Les chiens errants, les renards et certains rapaces peuvent exceptionnellement capturer des individus jeunes ou immatures.
Le trafic routier cause la mortalité de quelques individus chaque année.
Le comportement territorial du castor en régule naturellement la population. Ces rongeurs défendent leur territoire parfois jusqu’à la mort. Plus il y a de territoires occupés le long d’un cours d’eau, plus la mortalité des jeunes en migration est élevée. Lorsque la densité de la population augmente pour atteindre la capacité limite de l’habitat, le stress intraspécifique s’intensifie, entraînant une baisse de la fécondité et une hausse de la mortalité, avec pour conséquence un recul de la population.
État de la population en Wallonie
Nous estimons que 1/4 des sites potentiels d’implantation du castor européen en Wallonie ont été recolonisés à l’heure actuelle. De plus, une densification des zones peuplées est encore possible. Nous estimons qu’il est dès lors déraisonnable d’entamer une régulation anthropique de l’espèce actuellement étant donné les bénéfices sociétaux mentionnés ci-dessus et étant donné que l’abattage de castors ne constitue pas une solution durable au voisinage harmonieux entre l’homme et le castor.
NB : des castors américains (Castor canadensis) se sont échappés d’un parc animalier dans l’Eifel allemand et ont colonisés le bassin de l’Our. Ces castors sont en cours d’élimination par le DNF et devraient donc laisser place à des castors européens en surnombre dans d’autres bassins.
Législation
En Wallonie, le castor européen bénéficie d’une protection intégrale, y compris donc son habitat et ses constructions : huttes, terriers, barrages. Le castor n’est donc pas une espèce chassable. Il est interdit :
- de chasser le castor
- de piéger le castor
- de capturer le castor
- de déplacer le castor
- de déranger le castor intentionnellement
- de détruire les constructions du castor : huttes, terriers, barrages
Il est possible de demander une dérogation à cette protection intégrale auprès du DNF.
Toute activité que vous observez qui contrevient à cette protection intégrale devrait être dénoncée :
- à l’Unité anti-braconnage de la Région wallonne : uab.dpc.dgarne@spw.wallonie.be, 081 33 51 87
- Au numéro de la Région wallonne SOS Environnement-Nature 24h/24h : 1718
L’Unité anti-braconnage est en possession de la liste des dérogations à la conservation de cette espèce et devrait pouvoir vérifier la légalité des agissements que vous avez constatés.
De manière générale, Natagora préconise l’approche graduelle suivante :
- Dialogue constructif avec les personnes se plaignant des activités des castors : le réseau de bénévole du GT Castor peut être sollicité afin de se rendre sur le terrain et donner des conseils adaptés à la situation locale.
- Mise en place de mesures de protection et de prévention citées ci-dessus : le réseau de bénévole du GT Castor peut être sollicité afin de se rendre sur le terrain et donner des conseils adaptés à la situation locale.
- Destruction de barrages (dérogation officielle nécessaire).
- Capture et relâcher dans des endroits propices (dérogation officielle nécessaire).
En dernier recours, si aucun habitat propice n’est plus disponible en Wallonie, ce qui n’est pas le cas pour le moment, la capture et l’euthanasie peuvent être envisagés (dérogation officielle nécessaire).
Natagora s’oppose fermement aux dérogations autorisant la destruction des castors par tir au fusil. De telles dérogations instillent un climat tout à fait pernicieux : elles donnent l’impression que l’espèce castor est chassable, elle ne permet aucun contrôle sur le nombre d’individus éliminés et sur les personnes autorisées à les tirer. L’élimination de castors n’est pas une solution durable, étant donné que les territoires libérés vont être peu après recolonisés par de jeunes individus en recherche de territoires. Si tout de même ces dérogations devraient être accordées, elles devraient être effectuées en dehors des saisons de reproduction (afin de ne pas perturber d’autres espèces) et par des personnes assermentées par la Région wallonne et disposant sur eux des justificatifs nécessaires à l’accomplissement de cette besogne.