Une nichée de pie-grièche écorcheur au plumage aberrant

Couverture de la Revue Aves 61/2

Le 7 août 2023, une famille atypique de pie-grièche écorcheur est photographiée à Izel (commune de Chiny). Les trois jeunes de la nichée sont totalement clairs. Le plumage du mâle est apparemment normal, mais il est évidemment possible qu’il ne soit pas le père de la nichée. Une zone blanche est visible sur le dessus de l’aile de la femelle, mais comme une plume est absente à cet endroit, il est probable qu’il s’agisse simplement de la teinte plus claire de la partie de la plume du dessous, normalement cachée.

Les facteurs responsables de la teinte du plumage

Différents pigments sont responsables de la coloration des parties visibles du corps dans le règne animal. Les plus courants chez les oiseaux et les mammifères sont les mélanines.  Il y a fréquemment des mutations dans les gènes responsables de leur synthèse, ce qui induit des aberrations dans la couleur de l’individu. Les caroténoïdes sont les deuxièmes pigments les plus courants chez les oiseaux ; leur couleur varie du jaune pâle au rouge écarlate. Les mutations concernant ces pigments sont rares. De plus, la couleur due aux caroténoïdes n’est généralement pas affectée par les mutations de la mélanine, c’est pourquoi, le plus souvent, les teintes jaunes à rouges restent clairement présentes dans les plumages aberrants. 

Pie-grièche écorcheur Lanius collurio au plumage aberrant

 

Certaines aberrations du plumage ne s’expriment pas dès la naissance. Des facteurs externes, non héréditaires, tels que les maladies ou une carence alimentaire peuvent également être à l’origine de la perte de pigments. Dans ce cas, la pigmentation reviendra à la normale dès que les facteurs externes sont supprimés. 

Mais d’autres variations du plumage sont induites par des mutations. Elles sont énumérées ci-après selon une dépigmentation croissante. 

Le mélanisme est un dépôt anormal de mélanine dans la peau et/ou les plumes. Il n’est pas nécessairement issu d’une augmentation de pigment mais peut être le résultat d’une distribution altérée d’une même quantité de mélanine ou d’un "dépôt anormal" de celle-ci.

Le type "brun" est issu d’une mutation provoquant une réduction qualitative de l’eumélanine (l’une des sortes de mélanine) et dont les conséquences induisent une couleur brun foncé dans des zones normalement noires. 

Le type "ino" est dû à une mutation qui altère la fabrication de la mélanine. Selon le degré de cette altération, les zones normalement noires varient du brun clair au brun sombre et les zones normalement brun-rouge deviennent pâles, voire non colorées. Ainsi les formes les plus sombres de cette mutation ressemblent au type "brun" et les formes les plus claires ressemblent aux individus albinos. Le type "ino" est récessif et ne concerne que les femelles.

La dilution implique une réduction du nombre de granules pigmentaires. Dans ce cas, bien que le pigment ne soit pas altéré, cette moindre concentration induit des couleurs plus pâles.

Le leucisme, du grec leukos (pour "blanc"), est dû à l’absence partielle ou totale de mélanine dans les plumes (et la peau) à cause d’une déficience génétique provoquant l’absence de cellules pigmentaires. L’étendue du blanc peut varier, allant de quelques plumes blanches (individus partiellement leuciques) au plumage complètement blanc. Les motifs blancs issus du leucisme sont déjà présents dans le plumage juvénile et restent constants d’une mue à l’autre, c’est-à-dire qu’ils ne changent pas avec l’âge. Ainsi, le leucisme est issu de mutations dans lesquelles les cellules mélaniques sont absentes de la peau dès la naissance. D’autres mutations dans lesquelles les cellules mélaniques disparaissent progressivement ou deviennent moins productives mènent au "grisonnement progressif", qui apparaît lorsque l’oiseau atteint un certain âge et se définit comme la perte progressive de cellules pigmentaires avec l’âge.

Enfin, l’albinisme, du latin albus, qui signifie "blanc", est défini comme une absence de mélanine dans les plumes, les yeux et la peau. Les individus concernés sont généralement complètement incolores. La teinte rouge ou rosée des yeux et de la peau est due à la présence de sang visible à travers le tissu incolore. Ainsi, il n’existe pas "d’albinos partiel". Les oiseaux albinos sont rarement présents dans la nature, bien que la mutation se produise assez fréquemment dans la plupart des populations. La raison de leur rareté apparente est que l’absence de mélanine dans les yeux les rend très sensibles à la lumière et confère aux individus concernés une faible profondeur de vue. C’est cette particularité de la vue qui rend les albinos vulnérables, si bien que la plupart d’entre eux meurent peu après l’envol. 

 

Dans le cas présent, aucun des jeunes n’est albinos puisqu’on distingue un minimum de pigmentation chez chacun. Chez ces jeunes, il s’agirait donc plutôt de dilution puisque la couleur brune est devenue crème.

Pie-grièche écorcheur Lanius collurio au plumage aberrant

 

Selon la littérature, l’inventaire des aberrations "pâles" de plumage ne fait état que de 10 cas chez les pies-grièches écorcheurs. Il s’agit toujours d’individus isolés, à l’exception d’une famille observée en 1977 dont le mâle adulte et l’un des jeunes étaient leuciques, deux autres jeunes partiellement leuciques, tandis que la femelle et un quatrième jeune étaient normaux. Ce faible nombre de données suggère un caractère exceptionnel de l’observation présente.

Texte : Rudi Dujardin et Anne Weiserbs
Photos : Rudi Dujardin

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